Il y a un espace dont je n’ai pas encore parlé : la «rue», lieu totalement couvert mais traversant avec médiathèque, hôpital, administrations type pôle emploi, ainsi qu’un grand gymnase et des escaliers à n’en plus finir. Nous passons notre temps à monter et à descendre, à pousser des portes très lourdes et à passer des grilles !
La rue, cet espace clôt est oppressant malgré sa taille... aucune lumière naturelle n’y pénètre et on ne voit jamais l’extérieur...
Drôle de nom pour cette rue, alors!
Le surveillant ouvre et ferme avec ses clés, Il passe son temps à marcher de long en large... Les détenus et intervenants le hèlent : « Hey, la rue! » C’est le cri pour se faire ouvrir.
On croise des détenus habillés de jaune, blanc, vert et rouge, les uniformes pour les différents ateliers de travail.
C’est là que le directeur décide d’accrocher notre œuvre collective Voyage au coeur de ma cellule, finalisée lors de la performance à La Conciergerie en juin 2020. Je me suis occupée de concevoir le support, j’ai aussi proposé de remplacer les dessins originaux du centre par des impressions numériques. Plusieurs semaines après, en octobre, nous nous retrouvons enfin sur place, dans la Rue, à coller ces bandes sur le dessin de 3x 3 mètres déployé au sol. L’entreprise a déballé son matériel et le cadre qui est arrivé en pièces détachées. Nous sommes interpellés par les détenus et les surveillants, ils se demandent ce qui se passe. Nous leur expliquons que le travail commun va être accroché de manière pérenne ici même.
« ils sont trop forts les détenus ! »
« c’est les meilleurs en dessin ! »
Nous acquiesçons et continuons à nous affairer. C’est intéressant de voir qu’ils se reconnaissent dans cette œuvre ; chaque dessin ou chaque partie raconte quelque chose, un moment de leur vie au sein de la détention, qui a été capté par l’un d’entre nous. Nous comprenons que cette œuvre va continuer à raconter sa propre histoire au sein de l’imaginaire des détenus, des surveillants, des intervenants extérieurs et du personnel administratif.
Lorsque nous enlevons la protection de l’altuglas du cadre, nous sommes ébahies de redécouvrir ce travail si bien mis en valeur. Lorsque le cadre est enfin accroché à la verticale (non sans difficultés, muscles bandés et gouttes de sueur sous nos masques), nous comprenons que cette Rue ne sera plus jamais la même. Elle est complètement transformée par l’histoire commune qui se raconte dans cette œuvre. Ces moments de vie partagés dans cette année 2020, si particulière, sont désormais exposés et vont prendre leur envol dans le récit de chacun.
C’est pour cela que nous dessinons sur le vif, pour capter des moments, à jamais disparus, si ce n’est dans les mémoires éparpillées.
Un grand merci à l’équipe administrative de La Santé, aux Urban Sketchers Paris, à Version Bronze et Duograph pour l’installation.
[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ] [ photographies ©Brigitte Lannaud Levy et Marion Rivolier 2020 ]