samedi 24 octobre 2020

Au centre pénitentiaire Paris La Santé avec Urban Sketchers Paris .. Day 4

Début juillet, retour matinal à la prison de la Santé, quatre mois après notre dernière visite… Quatre mois d’arrêt liés à la pandémie de Corona virus. Nous nous réjouissons (presque) de retourner en détention car nous allons raconter aux détenus notre performance à La Conciergerie et le succès que cela a eu.
Nous ne sommes que deux avec Brigitte, nous sommes masquées ; l’ambiance est étrange, on a l’impression qu’il y a moins de monde, moins d’activité, moins de mouvement…
Nous retrouvons certains détenus, ils ont l’air fatigué, éprouvés par cette période de confinement qui les a privé d’activités, de parloirs et du peu d’autonomie qu’ils avaient. D’autres sont nouveaux en QB1, il se joignent à l’atelier qui se déroule dans la cour de promenade jusqu’en fin de matinée.


L’après-midi, nous dessinons dans la cour de promenade tout en discutant avec les détenus. Ils font beaucoup de sport, ils courent, ils font des pompes, des tractions. Des accessoires de musculation ont été installés dans la cour. Il y aura bientôt un petit potager aussi. Nous parlons de l’œuvre faite en commun et expliquons qu’on l’installera dans les prochaines semaines au sein même du centre de détention. Ce sera l’occasion de montrer à tous les usagers, détenus et surveillants, ce travail.

Je n’ai pas le temps de commencer une grande aquarelle alors je croque le surveillant qui nous dit qu’il est à la Santé depuis l’ouverture l’année dernière et qu’avant il était gendarme. Il pose comme ses collègues de l’autre jour, en glissant ses pouces sous son gilet par balle. Cela le rend encore plus costaud. 
La lumière est différente, plein été, l’atmosphère est complètement différente, les esprits s’échauffent plus vite mais l’ambiance est moins morose. Elle est plus contrastée. Cela change la perception des lieux et des espaces, cela en modifie presque l’échelle ; comme si la cour était plus grande…

En sortant de détention, je prends un peu de temps pour peindre la cour d’honneur, celle des exécutions capitales jusqu’à l’abolition de la peine de mort. Malgré la beauté de la réhabilitation du lieu, cela fait froid dans le dos quand on y pense.

[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier ] 

dimanche 18 octobre 2020

Au centre pénitentiaire Paris La Santé avec Urban Sketchers Paris .. Day 3

Arrivée matinale le 4 mars, je passe rapidement le contrôle. Six détenus nous attendent à l’entrée du QB1, prêts à dessiner. Le thème du cours est l'espace de la cellule, pour donner des bases de proportions et de perspective. On commence par le cadre de la porte, puis on ajoute l’intérieur avec une ligne d’horizon et un point de fuite. Des objets commencent à apparaître dans ce lieu qui est le même pour tous. La personnalité de chacun est donnée par les objets et photos qu’ils y apportent.

Nous filons ensuite vers les ateliers de travail. Filer, c’est beaucoup dire car nous avons toujours les grilles à franchir, des surveillants à prévenir et auxquels expliquer ce que nous faisons. Tout cela prend un certain temps. Il y  a plusieurs ateliers en enfilade, derrière des grilles, pour permettre une surveillance de chaque instant. De la coursive au premier niveau, on a une vue plongeante. Je m’installe là pour essayer d’avoir une vue d’ensemble. Nous expliquons à tout le monde pourquoi nous sommes ici: dessiner les lieux et ce qui s’y passe. Dans cet atelier, les hommes assemblent de petites pièces d’automobile et les rangent dans des cartons. Ils sont concentrés et se parlent peu. Par contre, j’entends que ça discute dans l’atelier d’à côté. Ils ont terminé leur travail, et attendent patiemment qu’on vienne les chercher. Ils hèlent le surveillant à plusieurs reprises. Ils sont tous habillés en bleu: tee shirt, sweet bleu clair et pantalon outremer. Mon aquarelle terminée, je me dirige vers le dernier atelier : tous sont sous blouse fine, charlotte et gants: ils assemblent des tubes de Vickx. Tout doit être stérile. Cela crée une ambiance étrange, tous ces hommes en blanc.



Ambiance bleu foncée au mess. On se restaure rapidement pour ensuite se diviser en groupes pour dessiner différents endroits du bâtiment. Avec Tula, je me dirige vers le QH6 après avoir traversé la Rue, nous prenons les escaliers. Arrivée au QH6, embouteillage à l’entrée, face à face prouvant avec une dizaine de détenus en blanc (blanchisserie) qui se poussent pour nous laisser passer. Un autre nous hèle derrière une grille. J’ai l’impression que ce bâtiment est grand avec plusieurs coursives. On a du mal à se repérer. Un surveillant nous emmène au dernier étage et nous fait entrer dans une cellule vide. Nous avons la vue sur le boulevard Arago. Il pousse la porte et nous laisse seules. L’espace est étroit pour deux. On ne s’imagine pas passer 22h sur 24 ici. C’est oppressant, les murs sont déjà noircis par la fumée de cigarette. Jusqu’à maintenant, je n’était pas vraiment entrée dans une cellule. Ici, on commence à se rendre compte de l’étroitesse du lieu et de l’angoisse que cela peut générer. Je suis mal à l’aise. Lorsque je regarde par la fenêtre, ma vision est barrée par deux rangées de grilles : une de barreaux verticaux et l’autre un quadrillage carré assez serré. Puis une rangée d’arbres. Cela crée trois niveaux de masques visuels. Difficile d’englober le panorama d’un seul coup d’œil. Je m’attaque à cette skyline d’immeubles en face, barrée par la forêt de branches. Un détenu parle (crie) à son voisin du dessous ou d’à côté, je ne sais même pas. Mais il n’arrête pas. Puis un autre appelle le surveillant d’étage, qui est allé à la promenade. Personne ne répond alors il gueule de plus en plus fort, il tape sur sa porte avec violence. Le métal vibre. Nous sommes de plus en plus mal à l’aise. Nous dessinons vite mais de toute façon nous devons attendre le retour du gardien pour nous faire descendre. Tout est bouclé ici. Enfin, le surveillant revient et nous ramène au niveau de la Rue.


 Au QB1, nous retrouvons nos repères, nous discutons avec les uns et les autres en dessinant. Je tourne autour des cellules, je peins ces hommes qui tuent le temps comme ils peuvent, en regardant, observant, allant ici et là sans vraiment de but. Je les écoute et j’essaie de comprendre ce qu’on peut leur apporter au fur et à mesure de ces séances. Nous espérons pouvoir revenir la semaine suivante mais nous sentons que la crise sanitaire aura pris de l’ampleur et que l’on sera passé en stade 3, confinement général. 


Nous quittons la Santé, épuisés. Nous respirons un grand bol d’air. 
Malheureusement, nous ne reviendrons pas le mardi suivant. Nous sommes désormais tous en confinement, pour une durée indéterminée. Nous devrons puiser dans toutes nos ressources pour rester enfermés chez nous. Drôle d’expériences qui viennent les unes après les autres, dans lesquelles on se retrouve avec de moins en moins de liberté de mouvements et de déplacements. 
La prison est pour l’instant coupée du monde extérieur, chacun est enfermé dedans mais eux, ne peuvent, vraiment plus bouger. 

[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ] 
[ photographies ©David Rivolier 2020 ]

lundi 12 octobre 2020

Au centre pénitentiaire Paris La Santé avec Urban Sketchers Paris .. Day 2

8h25, ce mardi de fin février, je commence à avoir une certaine habitude, la bulle, la carte d’identité, le badge, la ceinture qu’on enlève, la porte qui bipe alors qu’on a plus rien de métallique sur soi, le bouchon à l’entrée, les surveillants qui nous disent de circuler, portables interdits, bref la routine...
On se retrouve dans la cour d’honneur puis on se rend en détention. Le cours se déroule dans l’énergie, ils sont tous motivés et travaillent rapidement. Je passe un moment à poser pour le groupe. Un détenu me dit qu’il sort demain, on discute un peu pendant qu’il pose à côté de moi. Il relève ses manches et découvrent de gros tatouages. Il dit que la prison l’a changé. Qu’il sait maintenant qui sont ses amis (beaucoup moins qu’avant) et qu’il a décroché de la drogue en prison. Il ne veut plus jamais revenir à La Santé. Je lui souhaite bonne chance pour la suite.Nous terminons le cours par la perspective de la coursive avec les cellules de chaque côté, rythme implacable...


Nous allons déjeuner au mess entouré de surveillants. J’ai du mal à m’y habituer, trop d’uniformes, je crois.
Puis nous regagnons la promenade du QB1 pour un croquis rapide, soudain le temps se couvre alors que deux minutes avant il faisait grand soleil. Je capture le ciel au dessus des concertinas, barbelés effrayant (équipés de lames de rasoirs) au niveau des murs, de tous les murs. J’ai à peine le temps de terminer que nous devons aller dans le quartier d’isolement.


Le quartier d’isolement est flippant, les cellules comportent un sas grillagé et le mobilier est vraiment sommaire. L’ambiance change, c’est plus tendu, les surveillants portent des gilets par balle. On se retrouve dans la cour de promenade individuelle, cinq mètres par cinq, grillage et barbelés en guise de plafond. Ils empêchent de voir le ciel, même si les rayons marbrent le mur. Je dessine l’ouverture et le couloir qui mène à l’autre promenade. Tout est glauque, le sol est mouillé de flaques, les peintures sont tristes et écaillées, on a du mal à rester là et on termine nos dessins rapidement. En disant au revoir aux surveillants, je leur propose de les dessiner, ils se mettent à poser, gros bras et rires un peu gras, mais avec beaucoup de gentillesse. Ils sont impliqués et motivés par leur travail qui est un peu particulier au sein de la maison d’arrêt.


L’un d’entre eux nous conduit au QHR, le quartier des radicalisés, la cellule mémoire est dans le sas avant la coursive. Je m’installe à l’intérieur, la cellule est vraiment petite, les nouvelles sont plus grandes (trois cellules pour en faire deux). Les couleurs et carrelages surannés crée une drôle d’ambiance. C’est difficile de croire que les détenus ont vécu dans ces cellules jusqu’en 2013…



Puis nous filons vers la guérite de surveillance entre le QH5 et le QH6. Le surveillant nous prévient que la promenade se termine dans cinq minutes et qu’il devra partir. Je me dis que c’est toujours ça et j’attaque la grande vue sur la partie la plus haute, le quartier de semi liberté. Le ciel est tourmenté, nous aussi. Je discute un peu avec le surveillant, je cherche à savoir comment ça se passe vraiment ; les bagarres, les refus de réintégration après promenade, les trafics, comment les détenus se procurent-ils des téléphones portables? ... Le temps passe et le surveillant ne nous chasse pas. Je continue à construire l’espace: le ciel, les bâtiments (QH5 et QH6), les concertinas, effrayant, les filins tendus qui empêchent qu’un hélicoptère se pose... empêcher les évasions par des couches et des couches de grilles, grillages, barbelés, à tout prix. Dans les bâtiments, les fenêtres sont sombres, on devine les barreaux, il y a des yoyo un peu partout. Dès que les détenus du QH6 sont remontés, c’est la danse des yoyo qui commence, se passer des choses par de grandes lianes en plastiques qui balancent de gauche à droite et de bas en haut... c’est fascinant, ils peuvent rester des heures à tenter jusqu’à ce que ça marche... les deux cours de promenade se vident, nous aussi, nous devons partir. 

C’est la fin de la journée, on sort après avoir récupéré nos cartes d’identité, petit temps de latence... 
On attend beaucoup en prison même si on est attendu et que tout est organisé... 

On ne sait jamais si on dérange ou pas.., au début on dérange puis le dessin fait le job, il émerveille! Il ouvre les portes et fait naître les sourires. Détenus et gardiens sont étonnés et semblent touchés par les dessins que l’on produit. Les langues se délient, ils parlent.

[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ]
[ photographies ©David Rivolier 2020 ]

jeudi 8 octobre 2020

STAGE Capturer l’espace et le mouvement en valeurs et couleurs à Paris - octobre 2020 ...



Capturer l’espace et le mouvement en valeurs et couleurs à Paris 

Je vous propose d’explorer l’espace urbain, le ciel et l’eau, les bâtiments et les habitants, au fil du pinceau et de la couleur, à l’aquarelle. 
Chaque jour sera consacré à travailler un thème, sur le vif ; sous forme d’exercices découvertes. 
Il s’agira d’apprendre à observer, analyser, interpréter et raconter sa propre histoire sur les lieux traversés. 
Nous travaillerons, directement au pinceau, sans dessin préalable, sur un carnet de croquis. Nous explorerons les possibilités de l’aquarelle pour composer, cadrer, travailler le mouvement, explorer les valeurs et contrastes colorés, peindre avec le vide et apprendre à faire des choix. 
Nous apprendrons à envisager l’espace en larges masses colorées plutôt qu’en lignes et en contours. Il s’agira d’être à l’écoute de son sujet pour en exprimer l’essence rapidement mais sans précipitation. 
Notre outil principal sera le pinceau et nous travaillerons sur un carnet de croquis qui nous permettra de prendre des notes, réaliser des nuanciers et essais de couleurs, faire les exercices et aussi des dessins plus aboutis. 
Nous ne nous encombrerons de faire un joli dessin ou d’obtenir un beau résultat. Il s’agira d’expérimenter, de se tromper, de faire des erreurs et de progresser dans la compréhension du geste, de la couleur, des valeurs et de la profondeur. 

La totalité du stage se fera au pinceau et à l’aquarelle, sans dessin préalable. Il s’agira d’apprendre à composer directement au pinceau. Ainsi, ce stage n’est pas adapté aux grands débutants et il doit se suivre dans sa totalité
Stage limité à 9 participants en raison des mesures sanitaires.


du mardi au vendredi de 10h à 17h (6h par jour)
4 jours / 288 € TTC
renseignements et inscriptions à marionpro.rivolier[at]gmail.com

mardi 6 octobre 2020

Au centre pénitentiaire Paris La Santé avec Urban Sketchers Paris .. Day 1

L’arrivée devant la porte d’entrée principale est impressionnante, des voitures de police et un bus entrent et sortent, c’est un transport de détenus, probablement. Brigitte et moi sonnons. C’est une vitre sans tain, on ne voit rien et on entend mal. On finit par rentrer. La Santé a rouvert il y a six mois, tout est neuf, ripoliné. Le bâtiment ancien, côté rue de la Santé, a été conservé et réhabilité. C’est assez beau.

On passe une lourde grille. On retrouvera cette grille à de multiples reprises au cours de notre repérage. Des clés, des grilles lourdes , que l’on ouvre et que l’on ferme juste derrière nous. On se fera enfermer à de nombreuses reprise, on notera aussi notre nom plusieurs fois, certains quartiers étant hautement surveillés.

Nous serrons la main aux gardiens, à tous les gardiens. Nous expliquons que nous allons donner des cours de dessin, un jeune homme nous indique qu’il va s’inscrire ; il s’inscrit à tous les ateliers proposés nous assure-t-il. Nous commençons a découvrir les méandres et les escaliers de la maison d’arrêt.
On a monté et descendu des dizaines de marches, ouvert et fermé des lourdes grilles et portes, on a raconté notre projet, serré de nombreuses mains.
Maintenant il est temps de commencer à dessiner et à transmettre.

Le 4 février, c’est le DDay, toute l’équipe (Brigitte, Mat, Tula, Marielle, Carole, David et moi) est devant la prison de la Santé à 8h10, pas bien réveillée, on dépose nos manteaux et divers objets métalliques pour passer le contrôle. Café avant d’aller « en détention » comme tout le monde dit... on se redit « vouvoiement et respect », « ne pas sortir de son rôle »...
Le début de l’atelier est un peu fastidieux, je distribue le matériel et c’est parti! Les participants sont intéressés, ils testent tout de suite les feutres sur les carnets. Nous allons dans la coursive RDC du QB1 : Lignes de personnages, reconnaissance des notions d’espace puis petit cours de perspective.

Puis l’équipe va déjeuner au mess. Cantine correcte, on décompresse, entourés de surveillants habillés en bleu foncé. On fait un peu tâche avec nos cartons à dessin et nos crayons.

Après un café, nous nous installons dans le fameux panoptique, « surveiller et punir » de Foucault.L’espace central est la rotonde, avec un poste de surveillance au centre qui permet de voir les quatre quartiers en étoiles. Nous montons sur la passerelle, j’ai le vertige, j’ai du mal à rester debout… Aucun détenu ne peut sortir de sa cellule sans être vu depuis le centre de surveillance au centre de l’espace. On a l’impression que certains détenus se déplacent seuls mais en fait ils passent de grilles en grilles sous l’œil vigilant des surveillants. 

On entend un gars demander: « alors ça va l’auxis ? » Ou un détenu passe en disant: « je passerai bien la journée à dessiner avec vous mademoiselle ». Gloups, je n’en mène pas large… Et soudain c’est blocage pour un parloir pour B... on se retrouve bloqué dans le sas du QB2. Trop glauque.

Dans la première branche, c’est le quartier bas 1, QB1, quartier respect (ou confiance) où les détenus peuvent aller et venir en échange d’une conduite exemplaire. Les détenus distribuent le repas à tour de rôle, chacun vient chercher son plateau. Dans une cellule vide, nous découvrons l’aménagement : lits superposés, bureau, chaises et douche ainsi qu’un lavabo et des toilettes. Les fenêtre ont été agrandies par rapport à l’ancienne « Santé ». Elles s’ouvrent mais derrière il y a (encore) des barreaux. Certains font des crêpes, les autres discutent et tiennent le mur. Je travaille sur la perspective que j’ai expliquée ce matin. J’essaie d’être dans les propositions justes et d’exprimer l’ambiance, à la fois fermée et ouverte, couleurs un peu fade mais jolie lumière. Les hommes vont et viennent, nous interpellent et conversent avec nous. 
Je travaille ensuite sur les grilles, elles sont partout, elles forment des sas, des grilles seules, on les ouvre, elles sont lourdes, on les ferme, certaines restent ouvertes, elles portent ombre.

On est rincé. On va quitter les lieux après quasiment 10 heures de présence. 

On sort, on respire et on regarde le ciel!


[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ]
[ photographies ©David Rivolier 2020 ]