lundi 12 octobre 2020

Au centre pénitentiaire Paris La Santé avec Urban Sketchers Paris .. Day 2

8h25, ce mardi de fin février, je commence à avoir une certaine habitude, la bulle, la carte d’identité, le badge, la ceinture qu’on enlève, la porte qui bipe alors qu’on a plus rien de métallique sur soi, le bouchon à l’entrée, les surveillants qui nous disent de circuler, portables interdits, bref la routine...
On se retrouve dans la cour d’honneur puis on se rend en détention. Le cours se déroule dans l’énergie, ils sont tous motivés et travaillent rapidement. Je passe un moment à poser pour le groupe. Un détenu me dit qu’il sort demain, on discute un peu pendant qu’il pose à côté de moi. Il relève ses manches et découvrent de gros tatouages. Il dit que la prison l’a changé. Qu’il sait maintenant qui sont ses amis (beaucoup moins qu’avant) et qu’il a décroché de la drogue en prison. Il ne veut plus jamais revenir à La Santé. Je lui souhaite bonne chance pour la suite.Nous terminons le cours par la perspective de la coursive avec les cellules de chaque côté, rythme implacable...


Nous allons déjeuner au mess entouré de surveillants. J’ai du mal à m’y habituer, trop d’uniformes, je crois.
Puis nous regagnons la promenade du QB1 pour un croquis rapide, soudain le temps se couvre alors que deux minutes avant il faisait grand soleil. Je capture le ciel au dessus des concertinas, barbelés effrayant (équipés de lames de rasoirs) au niveau des murs, de tous les murs. J’ai à peine le temps de terminer que nous devons aller dans le quartier d’isolement.


Le quartier d’isolement est flippant, les cellules comportent un sas grillagé et le mobilier est vraiment sommaire. L’ambiance change, c’est plus tendu, les surveillants portent des gilets par balle. On se retrouve dans la cour de promenade individuelle, cinq mètres par cinq, grillage et barbelés en guise de plafond. Ils empêchent de voir le ciel, même si les rayons marbrent le mur. Je dessine l’ouverture et le couloir qui mène à l’autre promenade. Tout est glauque, le sol est mouillé de flaques, les peintures sont tristes et écaillées, on a du mal à rester là et on termine nos dessins rapidement. En disant au revoir aux surveillants, je leur propose de les dessiner, ils se mettent à poser, gros bras et rires un peu gras, mais avec beaucoup de gentillesse. Ils sont impliqués et motivés par leur travail qui est un peu particulier au sein de la maison d’arrêt.


L’un d’entre eux nous conduit au QHR, le quartier des radicalisés, la cellule mémoire est dans le sas avant la coursive. Je m’installe à l’intérieur, la cellule est vraiment petite, les nouvelles sont plus grandes (trois cellules pour en faire deux). Les couleurs et carrelages surannés crée une drôle d’ambiance. C’est difficile de croire que les détenus ont vécu dans ces cellules jusqu’en 2013…



Puis nous filons vers la guérite de surveillance entre le QH5 et le QH6. Le surveillant nous prévient que la promenade se termine dans cinq minutes et qu’il devra partir. Je me dis que c’est toujours ça et j’attaque la grande vue sur la partie la plus haute, le quartier de semi liberté. Le ciel est tourmenté, nous aussi. Je discute un peu avec le surveillant, je cherche à savoir comment ça se passe vraiment ; les bagarres, les refus de réintégration après promenade, les trafics, comment les détenus se procurent-ils des téléphones portables? ... Le temps passe et le surveillant ne nous chasse pas. Je continue à construire l’espace: le ciel, les bâtiments (QH5 et QH6), les concertinas, effrayant, les filins tendus qui empêchent qu’un hélicoptère se pose... empêcher les évasions par des couches et des couches de grilles, grillages, barbelés, à tout prix. Dans les bâtiments, les fenêtres sont sombres, on devine les barreaux, il y a des yoyo un peu partout. Dès que les détenus du QH6 sont remontés, c’est la danse des yoyo qui commence, se passer des choses par de grandes lianes en plastiques qui balancent de gauche à droite et de bas en haut... c’est fascinant, ils peuvent rester des heures à tenter jusqu’à ce que ça marche... les deux cours de promenade se vident, nous aussi, nous devons partir. 

C’est la fin de la journée, on sort après avoir récupéré nos cartes d’identité, petit temps de latence... 
On attend beaucoup en prison même si on est attendu et que tout est organisé... 

On ne sait jamais si on dérange ou pas.., au début on dérange puis le dessin fait le job, il émerveille! Il ouvre les portes et fait naître les sourires. Détenus et gardiens sont étonnés et semblent touchés par les dessins que l’on produit. Les langues se délient, ils parlent.

[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ]
[ photographies ©David Rivolier 2020 ]