On passe une lourde grille. On retrouvera cette grille à de multiples reprises au cours de notre repérage. Des clés, des grilles lourdes , que l’on ouvre et que l’on ferme juste derrière nous. On se fera enfermer à de nombreuses reprise, on notera aussi notre nom plusieurs fois, certains quartiers étant hautement surveillés.
Nous serrons la main aux gardiens, à tous les gardiens. Nous expliquons que nous allons donner des cours de dessin, un jeune homme nous indique qu’il va s’inscrire ; il s’inscrit à tous les ateliers proposés nous assure-t-il. Nous commençons a découvrir les méandres et les escaliers de la maison d’arrêt.
On a monté et descendu des dizaines de marches, ouvert et fermé des lourdes grilles et portes, on a raconté notre projet, serré de nombreuses mains.
Maintenant il est temps de commencer à dessiner et à transmettre.
Le 4 février, c’est le DDay, toute l’équipe (Brigitte, Mat, Tula, Marielle, Carole, David et moi) est devant la prison de la Santé à 8h10, pas bien réveillée, on dépose nos manteaux et divers objets métalliques pour passer le contrôle. Café avant d’aller « en détention » comme tout le monde dit... on se redit « vouvoiement et respect », « ne pas sortir de son rôle »...
Le début de l’atelier est un peu fastidieux, je distribue le matériel et c’est parti! Les participants sont intéressés, ils testent tout de suite les feutres sur les carnets. Nous allons dans la coursive RDC du QB1 : Lignes de personnages, reconnaissance des notions d’espace puis petit cours de perspective.
Puis l’équipe va déjeuner au mess. Cantine correcte, on décompresse, entourés de surveillants habillés en bleu foncé. On fait un peu tâche avec nos cartons à dessin et nos crayons.
Après un café, nous nous installons dans le fameux panoptique, « surveiller et punir » de Foucault.L’espace central est la rotonde, avec un poste de surveillance au centre qui permet de voir les quatre quartiers en étoiles. Nous montons sur la passerelle, j’ai le vertige, j’ai du mal à rester debout… Aucun détenu ne peut sortir de sa cellule sans être vu depuis le centre de surveillance au centre de l’espace. On a l’impression que certains détenus se déplacent seuls mais en fait ils passent de grilles en grilles sous l’œil vigilant des surveillants.
On entend un gars demander: « alors ça va l’auxis ? » Ou un détenu passe en disant: « je passerai bien la journée à dessiner avec vous mademoiselle ». Gloups, je n’en mène pas large… Et soudain c’est blocage pour un parloir pour B... on se retrouve bloqué dans le sas du QB2. Trop glauque.
Dans la première branche, c’est le quartier bas 1, QB1, quartier respect (ou confiance) où les détenus peuvent aller et venir en échange d’une conduite exemplaire. Les détenus distribuent le repas à tour de rôle, chacun vient chercher son plateau. Dans une cellule vide, nous découvrons l’aménagement : lits superposés, bureau, chaises et douche ainsi qu’un lavabo et des toilettes. Les fenêtre ont été agrandies par rapport à l’ancienne « Santé ». Elles s’ouvrent mais derrière il y a (encore) des barreaux. Certains font des crêpes, les autres discutent et tiennent le mur. Je travaille sur la perspective que j’ai expliquée ce matin. J’essaie d’être dans les propositions justes et d’exprimer l’ambiance, à la fois fermée et ouverte, couleurs un peu fade mais jolie lumière. Les hommes vont et viennent, nous interpellent et conversent avec nous.
Je travaille ensuite sur les grilles, elles sont partout, elles forment des sas, des grilles seules, on les ouvre, elles sont lourdes, on les ferme, certaines restent ouvertes, elles portent ombre.
On est rincé. On va quitter les lieux après quasiment 10 heures de présence.
On sort, on respire et on regarde le ciel!
[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ]
[ photographies ©David Rivolier 2020 ]