dimanche 18 octobre 2020

Au centre pénitentiaire Paris La Santé avec Urban Sketchers Paris .. Day 3

Arrivée matinale le 4 mars, je passe rapidement le contrôle. Six détenus nous attendent à l’entrée du QB1, prêts à dessiner. Le thème du cours est l'espace de la cellule, pour donner des bases de proportions et de perspective. On commence par le cadre de la porte, puis on ajoute l’intérieur avec une ligne d’horizon et un point de fuite. Des objets commencent à apparaître dans ce lieu qui est le même pour tous. La personnalité de chacun est donnée par les objets et photos qu’ils y apportent.

Nous filons ensuite vers les ateliers de travail. Filer, c’est beaucoup dire car nous avons toujours les grilles à franchir, des surveillants à prévenir et auxquels expliquer ce que nous faisons. Tout cela prend un certain temps. Il y  a plusieurs ateliers en enfilade, derrière des grilles, pour permettre une surveillance de chaque instant. De la coursive au premier niveau, on a une vue plongeante. Je m’installe là pour essayer d’avoir une vue d’ensemble. Nous expliquons à tout le monde pourquoi nous sommes ici: dessiner les lieux et ce qui s’y passe. Dans cet atelier, les hommes assemblent de petites pièces d’automobile et les rangent dans des cartons. Ils sont concentrés et se parlent peu. Par contre, j’entends que ça discute dans l’atelier d’à côté. Ils ont terminé leur travail, et attendent patiemment qu’on vienne les chercher. Ils hèlent le surveillant à plusieurs reprises. Ils sont tous habillés en bleu: tee shirt, sweet bleu clair et pantalon outremer. Mon aquarelle terminée, je me dirige vers le dernier atelier : tous sont sous blouse fine, charlotte et gants: ils assemblent des tubes de Vickx. Tout doit être stérile. Cela crée une ambiance étrange, tous ces hommes en blanc.



Ambiance bleu foncée au mess. On se restaure rapidement pour ensuite se diviser en groupes pour dessiner différents endroits du bâtiment. Avec Tula, je me dirige vers le QH6 après avoir traversé la Rue, nous prenons les escaliers. Arrivée au QH6, embouteillage à l’entrée, face à face prouvant avec une dizaine de détenus en blanc (blanchisserie) qui se poussent pour nous laisser passer. Un autre nous hèle derrière une grille. J’ai l’impression que ce bâtiment est grand avec plusieurs coursives. On a du mal à se repérer. Un surveillant nous emmène au dernier étage et nous fait entrer dans une cellule vide. Nous avons la vue sur le boulevard Arago. Il pousse la porte et nous laisse seules. L’espace est étroit pour deux. On ne s’imagine pas passer 22h sur 24 ici. C’est oppressant, les murs sont déjà noircis par la fumée de cigarette. Jusqu’à maintenant, je n’était pas vraiment entrée dans une cellule. Ici, on commence à se rendre compte de l’étroitesse du lieu et de l’angoisse que cela peut générer. Je suis mal à l’aise. Lorsque je regarde par la fenêtre, ma vision est barrée par deux rangées de grilles : une de barreaux verticaux et l’autre un quadrillage carré assez serré. Puis une rangée d’arbres. Cela crée trois niveaux de masques visuels. Difficile d’englober le panorama d’un seul coup d’œil. Je m’attaque à cette skyline d’immeubles en face, barrée par la forêt de branches. Un détenu parle (crie) à son voisin du dessous ou d’à côté, je ne sais même pas. Mais il n’arrête pas. Puis un autre appelle le surveillant d’étage, qui est allé à la promenade. Personne ne répond alors il gueule de plus en plus fort, il tape sur sa porte avec violence. Le métal vibre. Nous sommes de plus en plus mal à l’aise. Nous dessinons vite mais de toute façon nous devons attendre le retour du gardien pour nous faire descendre. Tout est bouclé ici. Enfin, le surveillant revient et nous ramène au niveau de la Rue.


 Au QB1, nous retrouvons nos repères, nous discutons avec les uns et les autres en dessinant. Je tourne autour des cellules, je peins ces hommes qui tuent le temps comme ils peuvent, en regardant, observant, allant ici et là sans vraiment de but. Je les écoute et j’essaie de comprendre ce qu’on peut leur apporter au fur et à mesure de ces séances. Nous espérons pouvoir revenir la semaine suivante mais nous sentons que la crise sanitaire aura pris de l’ampleur et que l’on sera passé en stade 3, confinement général. 


Nous quittons la Santé, épuisés. Nous respirons un grand bol d’air. 
Malheureusement, nous ne reviendrons pas le mardi suivant. Nous sommes désormais tous en confinement, pour une durée indéterminée. Nous devrons puiser dans toutes nos ressources pour rester enfermés chez nous. Drôle d’expériences qui viennent les unes après les autres, dans lesquelles on se retrouve avec de moins en moins de liberté de mouvements et de déplacements. 
La prison est pour l’instant coupée du monde extérieur, chacun est enfermé dedans mais eux, ne peuvent, vraiment plus bouger. 

[ aquarelles 25x65cm sur papier aquarelle – ©Marion Rivolier 2020 ] 
[ photographies ©David Rivolier 2020 ]